L’éditeur français ESC est de retour avec une toute nouvelle collection dédiée aux polars : Le 36. La collection « Le 36 », en référence au 36 quai des orfèvres, souhaite revenir sur les moments forts du polar français typé années 80. Ainsi, pour l’une des ses premières sorties, l’éditeur parisien nous propose Un Condé de Yves Boisset.
Notre article se divisera en deux parties distinctes :
I) La critique de Un Condé
II) Les caractéristiques techniques de l’édition blu-ray
L’avis de Quentin :
I) La critique de Un Condé
Yves Boisset est un cinéaste politisé, gravitant autour d’une thématique lui étant importante avec le caractère intrusif du pouvoir exécutif sur l’exercice judiciaire et législatif du pouvoir. On y voit une omniprésence de politiciens malhonnêtes et avide de commandement, de suprématie. De la sorte il avait travaillé sur l’affaire Ben Barka avec son film L’attentat. Ce dernier revenait sur les événements du 29 octobre 1965, avec l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, une enquête toujours en cours pouvant impliquer les pouvoirs politiques marocains, français et israéliens.
Cependant il n’a pas pour thématique unique les magouilles de politiciens. Dans Un Condé, il va à la fois coupler la montée au pouvoir progressive de petites frappes ainsi que la complaisance de l’institution policière dans le pays. Un corps de métier rongé par la corruption. Il parvient de la sorte à proposer un film singulier dressant une galerie de personnages haut en noirceur qui face à cette organe institutionnel rongé par les pots-de-vin, compte bien faire justice elle-même.
Le cinéaste va alors dresser de nombreuses situations, cadres de vie, permettant de mettre le doigt sur une frange, analysée avec brio, de la société. Ainsi, la première partie du film s’orientera autour d’un commerce refusant de payer un bande de mafieux, pour la protection de leur échoppe, les remontrances allant de la petite dégradation jusqu’à l’agression physique ou bien au meurtre. On pourra de la sorte observer un personnage rongé par la haine et la perte de ses amis réclamant vengeance.
Là-dessus, se greffe une histoire de vengeance policière. Celle d’un condé ne croyant plus en la police et résolvant les enquêtes de façon extrêmement brutale. Il ne s’arrête en aucun cas, même lorsque ses supérieurs l’ordonnent d’arrêter, ce dernier ne souhaitant qu’une chose laver l’honneur de son collègue ayant été selon lui abattu de manière gratuite.
C’est au travers de cette double histoire de vengeance, que le film prend racine, nous menant dans les recoins les plus obscures du pouvoir français. Le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin avait tout fait à l’époque pour demander l’interdiction de sortie du film. Ce dernier pouvant causer un trouble à l’ordre public en donnant une image négative et fausse de la police française, selon le ministre. Nous sommes tout juste deux ans après mai 68, et l’ordre politique établi n’a aucune envie de voir de nouvelles tensions jaillir de la population française et tente d’éteindre le moindre début de contestation. Yves Boisset s’inscrit donc dans la liste des cinéastes politiquement engagés post-68 tout comme Jean-Pierre Mocky avec sa trilogie constituée de Albatros, Solo et Le Piège à Cons, tous les trois également édités par ESC. Le film bien qu’âgé de 49 ans n’a pas perdu sa vigueur et sa véracité. Il résonne peut être même aussi bien à notre époque qu’à celle de sa sortie, nous remettant en question sur l’évolution de nos institutions.
Le casting effectué par le cinéaste français est d’une grande réussite. Ce dernier optant pour Michel Bouquet dans le rôle-titre du condé cruel aux manœuvres radicales, se battant dans les tréfonds d’une ville et d’une institution corrosive dont il fait parti et tente de se défaire. Son visage impassible en devient effrayant lors des interrogatoires, ce dernier faisant flancher le moindres des malfrats qu’il rencontrera. A aucun moment il n’essaiera de faire de dissociation, entre police et truands. Il fait cavalier seul et souhaite rétablir l’ordre de sa propre manière quitte à effectuer de nombreuses bavures et se faire rattraper par sa condition de flic, malgré lui.
Un Condé est un polar efficace regardant une institution qu’il souhaite dénoncer, n’ayant pas perdu à un instant de sa radicalité, un demi-siècle après sa sortie. A nouveau, l’éditeur français parvient après Légitime Violence à nous servir un polar de haut vol, ressuscitant de cette manière un genre délaissé depuis de nombreuses années et qui pourtant a encore toute sa place dans notre actualité.
II) Les caractéristiques techniques de l’édition blu-ray
Image :
Un Condé est une oeuvre qui a été parfaitement restauré ne souffrant à aucun moment de l’approche de ses 50 ans avec un nouveau travail de l’image lui permettant de s’imposer encore pour quelques décennies. Le piqué y est si bien travaillé, que l’on se croirait avec les personnages, la colorimétrie y a été ajustée avec honnêteté donnant au film ce caractère grisâtre, terne si spécifique au genre qu’est le polar. La profondeur de champ y est également appréciable, donnant de beaux reliefs au film. Enfin la grain de pellicule d’origine a été conservé apportant un caractère rugueux au film lui allant à merveille. On ne peut qu’applaudir de si belles restaurations.
Le film a été scanné en 4K puis restauré en 2K.
Note image : 4,5/5
Son :
La version Française DTS-HD 2.0 mono fait la part belle aux dialogues tout en parvenant à mettre en avant les différents arrangements sonores. L’ajustement y est pensé et délivré de façon très pertinente. Le film ne sature jamais dans les aigus et propose une balance corrcte avec les graves donnant au film une vraie stabilité dans sa qualité d’écoute.
Note Son : 4/5
Suppléments :
Esc pour la restauration en 2K d’Un Condé nous gâte en ce qui concerne les suppléments avec pas moins de cinq bonus permettant de pleinement profiter du film et comprendre les différents aspects de sa conception avec :
- Entretien avec François Guérif :
François Guérif, critique de cinéma, prend une petite demi-heure pour nous parler du film et l’aborder dans sa globalité. Il revient sur la place du film dans le cinéma contestataire hexagonal post 68, de la manière dont le film a été pensé, conçu, les différentes étapes du casting, les thématiques abordés par l’oeuvre tout comme les problèmes de censure qu’a pu connaître le film à sa sortie ainsi que la volonté d’interdiction de ce dernier.
- Un Condé Au Fil De La Censure :
Un entretien avec le réalisateur Yves Boisset qui revient sur la genèse du film, sa volonté de faire transparaître une situation délicate durant l’après 68. Il nous parle de la censure et des scènes dont il était question, ainsi que du casting. Il prend également quelques minutes pour attaquer les films financés par la télévision, devenant progressivement et de manière discrète une méthode de censure.
- Censure et Politique :
Jean-Pierre Jeancolas, historien du cinéma, revient sur la volonté du pouvoir étatique de faire interdire le film. Il rebondit de la sorte sur l’utilisation de la censure dans le 7° art durant le début des années 70 et revient sur le cas sulfureux de La Religieuse de Jacques Rivette. Ce bonus se répète un peu avec le supplément « Un Condé Au Fil De La Censure ». Cependant, il est toujours intrigant de connaître l’avis de différents protagonistes sur le recours à la censure et leur opinion.
- Une expérience musicale :
L’éditeur français nous propose un entretien avec Antoine Duhamel, compositeur du film afin de mieux appréhender la musique dissonante que ce dernier a construit pour appuyer l’atmosphère poisseuse du film. Il revient sur les volontés de Boisset de concevoir une musique moderne et complexe. Il explicite cet entretien devant son piano pour mieux montrer sa méthode de composition, des premiers accords jusqu’au thème finalisé. Il appuie sur la collaboration amicale et pertinente qu’il a pu avoir avec le cinéaste français. Il parle des différentes formations instrumentales qu’il avait proposé pour les différentes scènes du film.
Il prend également quelques instants pour revenir sur les rapports difficiles avec la productrice lors des séquences d’enregistrement. Cette dernière n’avait pas la même approche que le compositeur pour soutenir les séquences du film. Il exprime sa déception, vécue, lors de la découverte du film, et le mixage sélectionné par l’équipe qui ne correspondait aucunement à sa vision audacieuse.
Un document très intéressant qui permet une fois de plus de découvrir la légende autour de ce film censuré et polémique.
- Scène de l’interrogatoire (version intégrale) en italien sous-titré:
Retour sur la scène de l’interrogatoire telle qu’elle avait été pensée par Yves Boisset mais qui suite à la censure dû perdre de sa violence pour que le film puisse se frayer un chemin vers les salles obscures.
Note Suppléments : 4/5