L’avis de Quentin :
Esc revient en partenariat avec Movinside, pour continuer à explorer sa collection Hollywood Legends, avec Carmen Jones de Otto Preminger. Nous avons affaire à un poids lourd du cinéma mondial et tout cela pour deux raisons particulières. Tout d’abord, il s’agit d’une oeuvre d’Otto Preminger, réalisateur majeur des années 50/60. Ensuite, le film est un des tous premiers films proposant un casting constitué uniquement d’acteurs noirs.
Nous aborderons cet article en deux temps :
I) La critique de Carmen Jones
II) Les caractéristiques technique de l’édition Blu-ray
I) La critique de Carmen Jones
Otto Preminger est un réalisateur qui avant la sortie de Carmen Jones a installé sa réputation en tant que grand maître du film noir des années 50. Il a déjà réalisé certaines de ses plus grandes réussites telles que Laura, La Treizième Lettre ou encore Un Si Doux Visage. En pleine explosion, avec Chantons Sous La Pluie, Tous En Scène ou bien Les Hommes Préférent Les Blondes, la comédie musicale attire Otto Preminger et décide d’adapter le Carmen de Georges Bizet. Un pari culotté pour un réalisateur qui l’est tout autant.
Rien n’arrête Preminger qui ajoute une contrainte supplémentaire, pour l’époque, en proposant un casting intégralement noir. C’est la première porte d’accès à ce film d’une grande richesse culturelle et sociale. Le film aborde la fracture sociale américaine ethnique, en prenant le parti de montrer que quelque soit notre couleur de peau, les hommes et les femmes sont les mêmes et peuvent prétendre aux mêmes positions, fonctions dans la société. Aujourd’hui des films comme Black Panther ou bien Get Out, sont vendus au travers de cette proposition dite nouvelle. Cependant, beaucoup ont oublié Carmen Jones, un film historique et engagé dans le combat contre le racisme, une ouverture à la mixité.
Preminger va encore plus loin reprenant les airs de Bizet, et les appliquant au contexte de l’histoire. Il parvient ainsi, par une manœuvre ingénieuse à complètement réinventer à la fois Carmen, mais également la comédie musicale. Il n’est en aucun cas en train de jouer avec des compositions originales, facilitant l’appropriation de l’oeuvre. Il va chercher une composition du XIX° siècle et parvient à lui rendre toute sa jeunesse, et même plus, envoie l’oeuvre de Bizet instantanément dans le XX° siècle. La pièce garde encore aujourd’hui toute sa pertinence et sa vivacité.
Le réalisateur rend hommage à la culture afro-américaine en abordant le tragique destin de Carmen au travers des croyances voodoo. Quel bonheur de voir cette culture, si peu abordée, importante en Louisiane mais de partout aux Etats-Unis être mise en avant.
Le cinéaste est en avance sur son temps nous peignant le portrait de Carmen, une femme forte et indépendante. Elle ne cesse de démontrer à la gente masculine qu’elle peut aisément exister sans l’aide d’un homme. Elle sait tirer son aiguille de la complexité des relations humaines et s’élever en permanence. Néanmoins, cette approche égoïste et individualiste ne fait que décupler son malheur futur. Le réalisateur parvient à nous montrer une vision de la femme préceptrice de la révolution sexuelle de 1968. Un vrai régal de pouvoir assister à de tels jeux de pouvoirs entre hommes et femmes, en voyant ce personnage prendre continuellement l’ascendant sur tous les hommes qu’elle rencontre au cours du film.
Le long-métrage capte de la première jusqu’à la dernière séquence. Il grandit à la manière d’un château de carte expert qui ne demande qu’à s’écouler pour embrasser le drame. L’épée de Damoclès est continuellement au dessus de la tête de l’héroïne. Elle en a tout à fait conscience et préfère l’affronter plutôt que de l’éviter. Les acteurs parviennent à nous transmettre tout un panel d’émotions qui nous fera passer des rires aux larmes en un seul claquement de doigts. Le rythme de l’oeuvre est particulièrement soutenu, donnant une alternance formidable entre scènes chantées et scènes classiques. On ne se retrouve pas à un seul instant submergé par les élans musicaux de l’oeuvre, ces derniers étant minutieusement dosés. Le film parvient à trouver un public assez large, se voulant attrayant à la fois pour les connaisseurs mais également les néophytes des comédies musicales.
La qualité du casting est sensationnelle. Tout d’abord, le rôle principal de Carmen est remis entre les mains de Dorothy Dandridge, la jeune femme revête parfaitement le rôle de ce personnage fort d’opéra. Elle illumine les scènes à la moindre des ses apparitions et impose un rythme à la fois excitant et exaltant à la réalisation de Preminger. Quant au premier rôle masculin, campé par Harry Belafonte, il est tout simplement merveilleux. Le jeune homme parvient à délivrer un jeu très diversifié et prenant. Une interprétation sensible et équilibrée, le faisant passer par tous les stades de la relation amoureuse. Un duo de cinéma exemplaire et historique.
Carmen Jones est la réussite d’un réalisateur touche à tout qui transforme le moindre de ses sujets en or. Une oeuvre fabuleuse qui saura porter ses spectateurs des rires aux larmes, un spectacle touchant, attirant, pétillant, excitant et plein d’humilité. Preminger se réapproprie le travail de Bizet, transforme cette pièce incontournable en figure éternelle.
II) Les caractéristiques techniques du Blu-ray
Image :
Esc nous propose un nouveau master HD mettant en avant des couleurs vives et de beaux détails sur les visages. Cette nouvelle mise en avant des couleurs permet de donner une nouvelle jeunesse au film. On se retrouve immédiatement porté par les images.
Cependant nous pouvons noter quelques flous au niveau des arrières plans impactant par moment la profondeur des plans.
Une copie honnête permettant au film de poursuivre son chemin vers nos écrans, soixante ans plus tard, d’une bien belle manière.
Note image : 3,5/5
Son :
Carmen Jones nous est proposé selon deux formats :
- Une piste anglaise mono 2.0 PCM Dts hd Master Audio
- Une piste anglaise 5.1 Dts hd Master Audio
La piste mono d’origine est beaucoup mieux définie et permet une meilleure transmission du travail effectué par Preminger. Une finesse ainsi qu’une puissance que parvient parfaitement à dispenser cette piste.
Cependant, le constat n’est pas tout à fait le même pour la piste 5.1, bien que le travail proposé permette une très bonne pénétration et installation au cœur de l’oeuvre, cette dernière sature régulièrement sur les aigus faisant par moment décrocher et baisser le volume.
Note son : 4/5
Suppléments :
Esc nous propose un entretien avec Antoine Sire, spécialiste du cinéma hollywoodien. L’entretien permet de placer l’oeuvre soixante ans en arrière et de mieux saisir son importance capital, ainsi que son influence dans le paysage cinématographique de ces dernières décennies. Il replace l’oeuvre au dans son genre et la compare à ses contemporains. Il reviendra ensuite sur la difficulté de produire un film ainsi que l’affrontement avec la censure, le film étant un véritable pari et affront social pour l’époque. On apprendra beaucoup sur les moyens ayant été mis en place sur le tournage. Le critique expliquera également comment a été reçu le film à sa sortie.
Enfin, Antoine Sire abordera la carrière des deux acteurs principaux, Harry Bellafonte et Dorothy Dandrige, au coeur de l’âge d’or hollywoodien.
Un supplément très intéressant qui aura su se servir de ses 26 minutes de manière pertinente afin de mieux saisir cette pièce importante du cinéma américain.