L’avis de Quentin :
Abel Ferrara fait partie des réalisateurs que l’on ne présente plus. Le réalisateur américain a été capable du meilleur comme du pire depuis 1975. Il aura su en 40 ans de carrière nous offrir des œuvres inoubliables comme Bad Lieutenant ou bien King Of New-York. Cependant il se perd depuis quelques années dans un cinéma d’auteur où il n’a pas toujours su trouver sa place comme avec son récent Pasolini ou bien le dispensable documentaire Made In France.
Néanmoins, beaucoup de spectateurs ont oublié ou n’ont pas eu accès aux premières œuvres du réalisateur ce qui est fort regrettable mais ne vous inquiétez pas, ESC a eu la bonne idée en cette année 2019 d’ouvrir une collection Ferrara dont la première sortie est : L’Ange De La Vengeance. Cette sortie sera suivie dans les prochains mois par New York, 2 heures du matin et China Girl.
Notre critique se tournera vers cette première sortie et s’articulera en deux parties :
I) La critique de L’Ange De La Vengeance.
II) Les caractéristiques techniques du combo Blu-ray/DVD
I) La critique de L’Ange De La Vengeance.
Ferrara au début des années 80 est un jeune réalisateur, fort d’un petit succès avec son ultra-violent Driller Killer. Il cherche, comme lors de sa première réalisation, à sortir un film à petit budget qui saurait être à la fois un succès commercial mais également artistique. Il ne veut plus se retrouver à devoir réaliser de film pornographique comme il a dû le faire pour des raisons financières par le passé avec Nine Lives of a Wet Pussy. Il décide alors de se diriger vers le rape and revenge, sous-genre du cinéma en pleine explosion depuis les années 70 avec La Dernière Maison Sur La Gauche de Wes Craven ou encore I Spit On Your Grave de Meir Zarchi.
Cependant le réalisateur de New York ne veut pas se plier à une mode, ses codes et entrer dans un cadre rigide, il veut aller bien plus loin qu’un simple rape and revenge et nous offre alors le succulent L’Ange De La Vengeance.
Nous allons suivre Thana ouvrière introvertie et muette, qui va se transformer en tueuse en série implacable, radicale suite à son viol. Comme nous l’explique le mediabook, le nom de l’héroïne est directement inspiré de la personnification grecque de la mort : Thanatos.
Ferrara ne s’engage pas un seul instant dans un rape and revenge conventionnel, il n’y ait ici aucune question de vengeance mais bien plus de folie. Thana ne cherchant pas à trouver ses agresseurs mais plutôt à exterminer la gente masculine, le moindre mâle, ayant le malheur de croiser son colt 45.
A travers ce prisme de lecture, le film aime à nous montrer une société fragmentée où les hommes et les femmes ne se rencontrent jamais, ne se parlent pas. Il fonde deux clans, une société bicéphale qui ne veut et ne peut communiquer que par la violence. Les hommes sont peints à la manière d’animaux ne pouvant résister à leurs pulsions, n’ayant les yeux rivés que sur les courbes féminines. Un genre masculin vulgaire, prédateur ayant perdu les codes pour approcher les femmes.
De son côté la gente féminine se fait discrète, apeurée par ces hommes violeurs, ces hommes tueurs qui jonchent les moindres recoins de la ville. Il n’y a que lorsqu’elles sont en groupe qu’elles se permettent de répondre à leurs assaillants. C’est exactement à cet instant de rupture que Thana décide de sortir de cette condition, de prendre les armes et de répondre comme une justicière face aux prédateurs. Cependant en retournant l’argumentaire de la gente masculine, cette femme vengeresse parviendra-t-elle à se libérer des chaînes sociales qui lui sont imposées ? Réussira-t-elle à sortir de son silence ? Ne deviendrait elle pas aussi bourreau, mâle, en quelque sorte à vouloir exécuter le premier homme venu sans même se questionner ?
C’est ce que Ferrara va rapidement interroger dans son film mais qui aurait mérité un traitement légèrement plus poussé. Cependant ne boudons pas notre bonheur car nous sommes face à un petit chef d’oeuvre du genre.
Il a également su reconnaître le potentiel d’actrice de Zoë Lund qui crève tout bonnement l’écran. On peut même se demander si le film n’a pas été écrit pour elle. Ce rôle de muette, tueuse en série capte toute l’attention de la première à la dernière seconde du film. A coup sûr le film d’Abel Ferrara n’aurait jamais été si réussi sans la présence de cette actrice qu’il retrouvera plus tard pour le mythique Bad Lieutenant.
Le réalisateur choisit de tourner à New York, comme il le fera la plupart du temps. Il connaît cette ville ainsi que sa crasse, sa perversité. Il réussit à faire devenir chaque ruelle plus dangereuse les unes que les autres. La mise en scène y est magistrale avec de nombreux gros plans sur les visages, apportant une expérience écrasante, étouffante. Le spectateur se retrouve parfois même en position de victime. Il sait jouer avec les effets spéciaux et parvient à de nombreuses reprises à instiguer chez le spectateur l’impression d’un spectacle gore alors qu’il n’y a en soit que quelques légères effusions d’hémoglobine. Il nous promet ainsi une visite malade et fiévreuse des grandes villes américaines.
Il ajoute à sa minutieuse utilisation de la caméra, une mise en son extraordinaire sachant parfaitement accompagner les scènes du film. Ainsi, le thème présent à chaque apparitions du colt 45 est vecteur d’une sensation d’oppression comme il en est rarement donné à entendre. On se retrouve à mi chemin entre le free jazz et le rock expérimental de Magma.
L’Ange De La Vengeance est en cela un véritable trésor du cinéma de genre et une somptueuse corde à l’arc d’Abel Ferrara. Une vision d’un monde divisé, où les genres ne parviennent plus à se comprendre, baignant dans la crasse des villes et n’ayant pour seul moyen de communication que la violence physique.
II) Les caractéristiques techniques du combo Blu-ray/ DVD
Image :
Le master proposé par ESC est stupéfiant offrant une nouvelle jeunesse à l’oeuvre d’Abel Ferrara, lui rendant un véritable hommage.
Les détails ainsi que la colorimétrie ont été finement travaillés pour offrir un rendu subtil qui est parfois même un peu trop lisse pour ce type de spectacle. Il y a quelques légers points noirs qui apparaissent sur une poignée de scènes mais n’affectant en aucun cas la qualité du travail proposé. Cela apporte même du cachet au visionnage.
Note image : 4/5
Son :
L’édition ESC nous propose deux pistes : une piste anglaise Mono 2.0 Dts HD master audio et une piste française stéréo 2.0 Dts HD master audio.
La version originale du film ne souffre d’aucun défaut. La balance entre effets audio et voix est irréprochable. La musique y est parfaitement intégrée offrant quelques frissons lorsque le thème associé au colt 45 retenti. On ne peut que saluer le travail effectué.
Du côté de la piste française, les doublages sont moins crédibles et portent assez rapidement le film dans le registre du cinéma bis.
Note son : 5/5
Suppléments :
Esc met également les petits plats dans les grands au niveau des suppléments proposés. Nous aurons le droit à deux bonus de qualité avec :
- Dans un premier temps, un intéressant entretien avec Brad Stevens (écrivain et journaliste anglais).
- Dans un second temps , un extraordinaire entretien inédit avec Abel Ferrara.
- Enfin un livret, inclus dans l’édition mediabook revenant sur la conception de L’Ange De La Vengeance.
L’entretien avec Brad Stevens, spécialiste de Abel Ferrara, reviendra sur le cinéma du réalisateur en développant l’approche de la violence qui est faite par le metteur en scène. Une violence, si pure, si crue qu’elle fait directement entrer son cinéma dans le monde réel, dans le monde extérieur au cinématographe. Un cinéma qui en dit beaucoup sur la cruauté de la rue, de notre société, qui absorbe par la caméra pour ne faire qu’un avec la réalité lors de sa projection. Un entretien conduit par un auteur passionné et qui ne peut que décupler notre envie d’en savoir plus sur le cinéma du réalisateur.
ESC nous propose également un incroyable entretien inédit avec Abel Ferrara qui revient sur ses premières années de réalisateur, de son école de cinéma de San Francisco, à son retour à New York et les tournages de Los Angeles (New York, 2h00 du matin). Il revient sur sa vision du cinéma sur ses critères de référence pour faire un bon film. Il donne son opinion sur le rapport à l’argent et Hollywood. De nombreuses anecdotes sur la manière dont ont été tournés ses premiers films sont abordées. On y découvre un réalisateur, aimant, et toujours autant fasciné par son métier. Un supplément qui fait chaud au cœur et ne donne qu’une envie se plonger dans sa filmographie.
Le livret, quant à lui, revient sur la situation du tournage, ainsi que des moyens réduits à la fois humain et financier pour venir à bout de ce film. Il aborde également la rencontre de Zoë Lund avec Abel Ferrara, son travail avec le compositeur Joe Délia et son indéfectible accompagnement tout au long de la carrière du réalisateur américain mais également sa longue amitié et collaboration avec le scénariste Nicholas St. John jusqu’en 1996. Un éclairage est apporté aux conditions de tournage et les maigres revenus perçus par l’équipe du film qui pourtant ne s’est jamais détournée de l’oeuvre. Un film porté par une équipe soudée, n’ayant pas hésité un instant face au potentiel dévastateur de L’Ange De La Vengeance.