Le compte-rendu de Manuel Yvernault :
On vous en parlait il y a quelques semaines et cette 23ème édition a tenu toutes ses promesses… Entre les journées Carte Blanche à Caro & Jeunet puis celle de Jaume Balaguero, la présence de Alex De La Iglesia et les nombreuses projections, il y avait de quoi y trouver son compte. Car la programmation était vraiment très intéressante cette année.
Nous avons pour notre part pu découvrir quelques films très intéressants.
Commençons tout d’abord par Mayhem de Joe Lynch, humoir noir, série B assumée au script farfelu mais assez intéressant quant à la critique qu’il tente d’aborder sur notre société actuelle. Malheureusement une réalisation un peu cheap fausse le résultat et gâche le plaisir de la première demi-heure où la réalisation promettait bien autre chose. Une petite déception.
L’inverse de l’excellente surprise avec A Day film coréen de Cho Sun-Ho, où l’interprétation comme la mise en scène sont de mise, d’une qualité évidente, pour mettre en relief un scénario d’une intelligence rare, surtout sur un sujet fréquemment filmé, la boucle temporelle. Le film est maîtrisé de A à Z, rythmé et se construit sur la base de séquences surprenantes à émouvantes. Au final un film simple certes, mais intelligemment mené afin de nous parler avec émotion du deuil. Sur un thème aussi souvent abordé on a rarement vu un tel résultat. Un cinéaste à suivre après sur un troisième projet.
Dans un autre genre, le documentaire Ni juge ni soumise réalisé par Yves Hinant et Jean Libon, deux figures majeures de la série franco-belge Strip Tease. On suit ainsi la juge Anne Gruwez pendant 3 ans via une enquête principale (réouverte 20 ans après) et d’autres faits divers tous plus hallucinants les uns que les autres, séquences durant lesquelles elle prend la déposition de ses « clients ». Personnage hallucinant, au tempérament et au caractère unique, qui donne une image jamais vu de la justice. Où quand l’intégrité se conjugue à la spontanéité en face de la farce la plus grande des personnages de notre société. En somme, le film ferait passer 10ème chambre, instants d’audiences de Raymond Depardon pour un documentaire soft et informatif tant l’humanité filmée ici est hors de tout concept de fiction, là où le réel peine à être crédible devant tant de folie (de douce à amer). D’ailleurs le film est autant intéressant par l’étude indirecte des échanges qu’il propose entre les juges et les accusés (une folie hallucinante, de la Syrie à Satan (sic)), dans sa forme et ce qu’il délivre, que par l’observation des réactions de la salle où le rire cache parfois une certaine gêne devant les dépositions filmées. La dernière laisse alors place au silence, abrupt, surtout face à la précédente qui avait livrée son lot d’hilarités collectives, toujours entre gêne et constat social hallucinant. Parfait dans cette programmation, Ni juge ni soumise est un véritable OVNI de par son contenu.
Et parmi tous ces films nous avons spécialement apprécié Thelma, le dernier Joachim Trier, réalisateur brillant avec Oslo, 31 août qui, après la déception Louder than bombs, livre un film total, sensitif, intelligent et à la mise en scène soyeuse comme appliquée. Des résonances même lointaines du film Morse (voire de Carrie par le thème) nous rappelle cette touche scandinave et procure dans un autre style le même effet, là où l’émotion est au rendez-vous, émotion sonore et visuelle. Joachim Trier sait prendre son temps et dessine son œuvre avec une précision de cadre d’une rare élégance. Si on peut ressentir une certaine longueur sur l’ensemble, ce défaut mineur s’évapore constamment, toujours rattrapé par cette première incursion du réalisateur dans le fantastique, réalisée avec brio.
Nous n’avons pas eu l’occasion de voir les films du palmarès mais on a hâte de jeter un œil sur La Lune de Jupiter de Kornel Mundruczo après l’étonnant White Dog. Le film scinde déjà le public en deux, on adore ou on déteste.
Et pour clôturer cette édition, le public a eu la chance de découvrir l’adaptation de Mutafukaz par Guillaume « Run » Renard (de sa BD homonyme) et Shoujirou Nishimi (qui avait débuté sur Akira comme animateur), qui hélas cherche encore un distributeur en France (le film est déjà acheté en Allemagne et au Japon). A la vue du résultat il serait très intéressant d’en trouver un puisque Mutafukaz est une vraie claque dans l’animation française. Fun, pop, référencé du début à la fin, entre hip-hop versant hispanique Los Angeles dans le rétroviseur et fantastique à la John Carpenter. Doublé par Orelsan, Gringe, Alain Dorval ou encore Feodor Atkine (on en oublie), le film donne corps à des personnages qui jusqu’ici ne prenaient vie que dans nos têtes. Les décors sont bluffants et l’animation parfaite, d’ailleurs le Studio 4°C (Amer Beton) co-produit le film. On peut regretter parfois le manque de dynamisme vocal sur les personnages de Lino et Vince (Orelsan et Gringe) lors des scènes d’action mais cela reste un détail à la vue de l’ensemble de cette adaptation. L’humour présent et méta fait la part belle à la BD/Comics d’origine, sans pour autant laisser ceux qui n’auraient jamais lu leurs aventures sur le bord de l’écran. En somme un complément parfait de tout ce qui se fait de différent dans l’animation en France et qui prouve un réel dynamisme dans nos productions.
C’est donc sur une excellente note que se clôt ce festival cette année avec toujours la même passion et l’engouement des personnes qui résistent (devant et derrière la toile) pour qu’un cinéma différent puisse encore être produit de nos jours et ce malgré de nombreuses difficultés financières imputées à une partie du 7ème art. Vivement l’année prochaine.
Le palmarès complet de la 23ème édition de L’Etrange Festival est à retrouver ICI