Vivant depuis de nombreuses années à Port-au-Prince, le Docteur Williams (Anthony Steffen) traîne une réputation de fabricant de drogue. Sa dernière création est un puissant hallucinogène permettant de plonger dans un univers érotique ouvrant sur ses désirs les plus secrets. Peacock, énorme fortune de l’île, pédophile notoire, convoite la formule, tout comme un certain Murdock, fraîchement arrivé en ville. Après avoir caché son invention, Williams voit débarquer un vieil ami, Fred Wright (Gabriele Tinti) et son épouse, la sublime Grace (Anita Strindberg). Commence alors une série de règlements de comptes de plus en plus violents, tandis que Grace, au son des tambours vaudous, découvre ses désirs enfouis.
L’avis de Margaux :
Et voilà une sortie du Chat qui fume qui ne laissera pas indifférent les amateurs du genre. C’est dans la collection exploitation italienne que l’éditeur décide de ressortir le film, Tropique du Cancer ou Al Tropico del Cancro pour la version originale. Sorti en 1972, il est réalisé par Edoardo Mulargia, plus connu dans le vaste monde du western, aux côtés de Gian Paolo Lomi qui, lui, nous vient plutôt du documentaire. Dès le départ, la collaboration s’annonce donc étonnante. En ce qui concerne le casting, on reconnaît Anthony Steffen, célèbre pour ses nombreux westerns spaghetti dont W Django ! réalisé par Mulargia en l’occurrence. À ses côtés, la belle et sulfureuse Anita Strindberg incarne l’un des personnages principaux. On la retrouve, à l’époque, dans multiples gialli à savoir l’excellent Venin de la peur de Lucio Fulci (d’ailleurs disponible chez Le Chat qui fume, si ce n’est pas encore fait courrez l’acheter!) ou encore La Queue du scorpion de Sergio Martino.
Le film est une surprise. Dès les premières minutes, nul doute, il s’agit bel et bien d’un giallo. Un plan en caméra subjective laisse apparaître en amorce deux mains gantées de cuir noir, c’est en effet l’un des éléments iconographiques du genre par excellence. Nous voici face au personnage type de l’assassin à l’identité masquée. Dans le genre transalpin, un meurtrier assassine violemment plusieurs personnages pour arriver à ses fins. Le spectateur prend alors la place d’un enquêteur et va, après être confronté à plusieurs suspects, tenter de résoudre l’énigme. L’identité du meurtrier ne sera alors révélée qu’une fois la fin venue et ce, à la surprise de tous. Tropique du cancer fonctionne, à quelques détails près, sur ce schéma. Une série de meurtres se répand au fur et à mesure que l’intrigue avance. Un mystérieux personnage tente d’obtenir, par tous les moyens, le secret de la drogue hallucinogène élaborée par le docteur Williams (Anthony Steffen). L’érotisme est un élément intrinsèque du genre italien, et qui de mieux qu’Anita Strindberg pour l’incarner ? L’actrice est rayonnante dans le film et irradie l’image de sa présence. Autre caractéristique du giallo, et non des moindres : le meurtre. La séquence de meurtre est centrale dans le genre, elle marque l’un des points culminants du film et donne lieu à toutes sortes d’expérimentations visuelles et sonores. Ici, les crimes ne sont pas très sanglants, mis à part l’ingénieuse séquence de meurtre où la victime se retrouve enfermée dans une cuve d’une usine à papier. La mise en scène expérimente sur certaines de ses séquences, on assiste ainsi à de violents zooms, à des ralentis, ou même des arrêts sur image.
L’originalité du film d’Edoardo Mulargia et Gian Paolo Lomi réside dans le mélange et la transgression des genres. En effet, il ne peut être qualifié seulement de giallo. Contrairement à la majorité des gialli qui se déroule en Europe sous une lumière quasi grisonnante, Tropique du cancer exploite la lumière vive du soleil des îles. Le film se déroule à Haïti et dresse un portait du pays et de ses coutumes. Certainement introduit par Gian Paolo Lomi, le film possède une dimension documentaire proche des mondos (films d’exploitations caractérisés par une approche pseudo-documentaire sur des thèmes généralement choquants proposant aux spectateurs des images crues mêlant sexe, violence et exotisme). Certaines séquences du film mettent en scène des images de rituels vaudou; elles sont, pour la plupart, non fictives et recréées pour les besoins du film. Nous assistons ainsi à des scènes fortes, oppressantes, voire même violentes (sacrifice d’un animal, ou encore visite d’un abattoir). Ces séquences injectées dans le film finissent par créer une atmosphère déroutante aux limites du rêve et du fantastique. Là réside toute la singularité de Tropique du cancer.
Malgré l’inégalité du scénario, en effet le début du film est un peu laborieux et l’intrigue manque de clarté, le film marque par les images qu’il nous laisse en tête. On ne peut oublier la séquence onirique d’Anita Strindberg qui, sous l’influence d’une drogue hallucinogène, rêve (ou fantasme ?) qu’elle court à travers un couloir vermillon dans lequel de jeunes hommes nus tentent de l’attraper, pour enfin finir sa course dans les bras de l’un d’entre eux se laissant ainsi emporter par les plaisirs de la chair…
Le Chat qui fume nous offre, une nouvelle fois, l’opportunité de voir ou revoir un film rare et atypique. Que l’intrigue fascine ou non son spectateur, le film a le mérite d’expérimenter le giallo aux limites du psychédélisme.Technique
Pour l’aspect technique, pas de soucis à se faire, la qualité de l’image est plus que convenable. Les couleurs sont belles et éclatantes, dans certaines séquences l’image apparaît avec beaucoup de bruit, mais rien de grave. Nous avons d’ailleurs la possibilité de comparer l’image du film à sa version VHS dans les bonus et on ne peut que saluer le travail accompli pour cette nouvelle copie. Le digipack est un bel objet, trois disques y sont compris, à savoir le Blu-ray, le DVD du film et ses bonus. La version originale sous-titrée est satisfaisante ainsi que la version française.
Bonus
C’est un plaisir de découvrir les bonus qui nous attendent après la vision du film (oui, il vaut mieux les regarder après). Dans un premier temps, on y trouve un entretien avec Gian Paolo Lomi, Mort en Haïti (33′), réalisé par Federico Caddeo. On découvre son parcours de cinéaste ainsi que la genèse du film, en passant par la collaboration avec Edoardo Mulargia. Lomi traite ensuite de l’aspect documentaire et raconte l’histoire de l’île, sa politique, et ses coutumes.
Dans Voyages Hallucinatoire (19′), réalisé par Manlio Gomarasca, nous pouvons entendre quelques enregistrements d’Eduardo Mulargia discutant du film. S’ensuivent plusieurs entretiens à propos du film et du réalisateur avec notamment David Pulici, journaliste, Roger A. Fratter, réalisateur, Robert Woods, acteur et enfin Mark Fiorini, acteur lui aussi.
Stéphane Bouyer propose ensuite Giallo Caldo (26′), un entretien avec Francis Barbier (du site devildead.com) qui nous livre une analyse vraiment passionnante du film.
Enfin, dans 3 Gialli (26‘), Fathi Beddiar, scénariste, y dévoile ses trois gialli préférés (je vous laisse découvrir lesquels) et nous déclare ainsi son amour pour le cinéma de genre italien.
Pour finir en beauté, trois bandes annonces (hormis celle de Tropique du cancer) dévoilent les prochaines sorties du Chat qui fume, parmi elles : La longue nuit de l’exorcisme de Lucio Fulci, Opéra de Dario Argento, et enfin A la recherche du plaisir de Silvio Amadio. Bref, on a hâte d’y être.