Présentation rapide :
On ne présente plus le grand mangaka Naoki URASAWA. Né le 2 janvier 1960 dans la préfecture de Tokyo, il développe dès son plus jeune âge une immense passion pour la musique et les mangas. Son orientation professionnelle vers le manga nous aura permis d’avoir entre les mains des titres tels que Monster, 20th Century Boys, Pluto, Yawara!, et bien d’autre…
Son œuvre lui aura permis d’obtenir un grand nombre de titres tels que le « Prix du manga Shôgakukan », le « Prix culturel Osamu Tezuka », prix de la série du festival d’Angoulême, etc… Invité de marque cette année à la Japan Expo, vous trouverez ci-dessous la conférence de presse qu’il a donnée en compagnie de Florian RUBIS de dBD Magazine.
Conférence de presse :
Avez-vous déjà entendu parler de cet évènement avant de venir ou est-ce que c’est la première fois que vous découvrez cette convention ?
J’avais déjà entendu parler de ça, de ce genre de convention.
Vous faites beaucoup d’activités pendant votre bref séjour, c’est une occasion rare pour les fans de rencontrer un grand maitre du manga. En même temps c’est aussi l’occasion pour un mangaka de faire des activités dont il n’a pas l’habitude au quotidien (intervenir avec une personne du studio « Madhouse » sur les animés, une séance de dessin public, des dédicaces, etc.). Est-ce que le rapprochement avec le public vous enchante et vous change de votre cadre habituel ?
Ce qui est vraiment exceptionnel c’est de pouvoir rencontrer les fans qui sont très très loin du Japon. Même quand je suis au Japon, je n’ai quasiment pas l’occasion de rencontrer les fans japonais.
J’ai vraiment besoin de me renfermer pour pouvoir travailler, c’est ce contexte de repli sur moi-même qui me permet de produire quelque chose d’intéressant. Pouvoir rencontrer des gens de l’autre côté de la terre qui me disent « je vous adore, je vous aime, etc. » ça change réellement de mon quotidien, ça me crée beaucoup d’émotions et j’en suis très ému.
A la lecture de vos œuvres, on découvre une très bonne connaissance de l’Europe, notamment de l’Allemagne (« Monster »), avez-vous voyagé en Europe ou tout ça reste-t-il un travail de documentation ou de reconstitution depuis votre atelier ?
Pour Monster, j’ai fait un voyage d’une semaine en partant de Francfort en allant jusqu’à Prague. Tout en imaginant l’histoire ou les drames qui vont se dérouler dans le manga, j’ai pris un très grand nombre de photos. J’ai déjà fait des voyages de ce type sur une semaine pour me documenter, je ne réfléchi pas à l’histoire en regardant le paysage ou en voyageant. J’ai déjà une image très précise de l’histoire en tête ou de ce que je veux trouver et je vais chercher une représentation de cela durant mes séjours.
Vous venez également participer à un showcase avec le groupe « HEMENWAY » et l’on connait votre passion pour le Rock & Roll, comment vous préparez vous à cet évènement ? Je crois savoir que vous avez beaucoup d’activités autour de la musique qui est une passion d’enfance au même titre que l’activité de mangaka.
Je n’ai jamais été dans des clubs de manga, j’ai principalement été dans des clubs de musique. Le manga et la musique ont toujours évolué en moi de façon parallèle. Certains de mes amis qui faisaient aussi parti de ces clubs sont devenus professionnels alors que moi je me suis plutôt orienté vers le manga. J’ai toujours continué la musique mais c’est en 2008 que je me suis dit que je n’avais plus beaucoup de temps ; qu’il fallait que je mette ensemble toute ma carrière musicale et c’est pour ça que j’ai fait un CD, qui est d’ailleurs en vente à la Japan Expo.
On se souvient d’ailleurs de cette petite anecdote, l’erreur lors de l’achat de la guitare classique à la place d’une guitare plus adaptée. C’est l’anecdote qui sent le vécu, que l’on retrouve souvent dans vos œuvres. En même temps on se dit que vous avez fait un apprentissage à l’âge du Rock n Roll par vous-même, un apprentissage plutôt punk du Rock n Roll non ?
Comme pour le manga, la musique ou la guitare, j’ai tout appris moi-même, je n’ai jamais eu de cours et personne ne m’a jamais enseigné. Aujourd’hui si quelqu’un qui a fait des études dans ces domaines me voyait, il dirait « mais enfin c’est quoi ça ?! ».
C’est vrai que pour 20th Century Boys il y a l’épisode où il met un CD de T. Rex qui est vraiment du vécu, que j’ai fait lorsque j’avais 13ans. A l’heure du déjeuner on passait plutôt des musiques calmes, du classique et j’ai mis cette musique. Tout le monde était tellement absorbé à manger que lorsque j’ai demandé « alors c’était comment le Rock ? », tout le monde m’a répondu « mais de quoi tu parles ? ».
Vous répondez un peu à ma prochaine question, vous venez de citer T. REX, quels sont donc vos goûts musicaux ?
J’aime beaucoup Bob Dylan, les Beatles, Prince, Miles Davis.
Mangaka est une vocation qui est née très tôt dans ce que l’on peut lire de vos déclarations. C’est une chose qui n’est pas venue facilement puisque vous avez dû vous imposer dans un registre plus adulte, sans passer par la case du Shônen. Avez-vous dû faire preuve de patience ? Est ce que cela a été une épreuve pour vous ou finalement la voie royale s’est dessinée rapidement ?
Quand je retrace l’histoire des mangas que j’ai pu voir ou lire quand j’étais jeune, en primaire, les mangas c’était pour moi Shônen Magazine. Il était destiné à un public très large, tant aux enfants de primaire qu’aux étudiants. C’est à partir des années 70 qu’il y a vraiment eu une séparation des mangas pour enfants, pour adultes, etc. A ce moment-là, je me suis demandé pourquoi ils faisaient ça, c’est quelque chose que je n’avais pas vécu quand j’étais petit.
J’ai toujours l’idée du salon au Japon où tout le monde se réunit. Que si l’on pose un de mes mangas au milieu, il faut que les enfants, la grand-mère, le grand-père, les parents, puissent tous apprécier le même manga. C’est une idée que j’ai toujours en tête.
Nous allons parler d’une autre anecdote car il y en a une frappante au début de « Billy Bat ». Kevin, un garçon d’origine japonaise vit aux Etats-Unis et travaille dans les comics. Il est en train de finir une histoire de « Billy Bat » et fait une réflexion sur la conclusion qui est difficile à trouver. Pour un maitre du thriller comme vous, qui avez beaucoup de travail au niveau de la construction de l’histoire, est-ce complexe de trouver la bonne fin ?
Oui c’est compliqué. L’une des particularités du manga japonais c’est que la publication est en série, soit par semaine, soit par mois. Par exemple, pour une œuvre comme Monster ou même 20Th Century Boys, la publication a durée 7ans ; au bout d’un moment mon œuvre devient aussi l’œuvre du public. Chaque lecteur finit par se dire « à la fin, ça va être ça ! ». Quand je donne ma conclusion, pleins de gens me disent « non, ce n’est pas la fin que nous voulons!! ». Je donne une des réponses possibles et je pense que chacun peut voir à sa manière la fin de l’histoire. La conclusion de chaque histoire est ouverte, ce n’est pas juste une réponse, mais une question en quelque sorte pour que chacun puisse trouver sa propre conclusion.
On vient de parler du dialogue qui s’instaure au fil des années avec le public. Un autre dialogue intéressant est celui que vous développez avec l’œuvre de M. TEZUKA. Ce dialogue pour l’amoureux du manga est particulièrement réjouissant, notamment à la fin de « Pluto » où je crois que vous avez compris l’essentiel, la thématique de la guerre chez TEZUKA (quelqu’un qui a subi les bombardements d’Osaka). Je pense que c’est quelque chose qui vous habite depuis des années, depuis votre enfance, jusqu’où allez-vous aller comme ça dans votre dialogue avec lui?
Est-ce que c’est vraiment un dialogue ? Je ne suis pas au même niveau que M. TEZUKA, je le vois comme une haute montagne. Pour atteindre le sommet il y a plusieurs chemins, le chemin facile, des chemins très difficiles à monter et c’est cette manière d’aborder différemment comment atteindre le sommet que je le perçois.
La fin de « Pluto » est particulièrement juste et frappante. Je trouve très bien choisi d’avoir traité ce thème de l’humanisme de TEZUKA, de son côté anti guerre et anti violence compte tenu du préjugé qui court souvent chez le non-connaisseur du manga et le préjugé sur la violence dans les mangas.
L’œuvre de TEZUKA dont je m’inspire, je l’ai connue quand j’avais à peu près 4 ou 5ans. Dans ma génération, la plupart des gens disent que c’est cette histoire là qu’ils aiment le plus, qui les a touchés au cœur. A l’époque je m’étais demandé pourquoi cette génération avait autant été captivée par ce récit. Dans la plupart des mangas de l’époque il y avait les gentils d’un côté, les méchants de l’autre et c’est toujours les bons qui gagnaient. Dans cette œuvre là, c’est un peu plus complexe, rien que le combat en lui-même ou la guerre est quelque chose qui crée un vide dans le cœur. Je pense que c’est ça qui a fait que M. TEZUKA a réussi à capter le cœur de cette génération même très jeune. J’ai toujours eu ce sentiment après avoir lu cette œuvre incroyable dès l’âge de 4ans. Arrivé à 40ans je me suis dit que j’allais retranscrire ce sentiment que j’avais trainé depuis tout ce temps et c’est ce qui a donné Pluto. L’histoire de M. TEZUKA a grandi et évolué à l’intérieur de moi et 40 ans plus tard, après l’avoir relue, je me suis aperçu qu’il y avait pleins de scènes présentes dans ma tête qui n’existaient pas dans l’œuvre originale.
Nous avons parlé tout à l’heure de votre ouverture sur le monde. On vous perçoit comme un chroniqueur ou un observateur souvent critique du Japon depuis 1945. On pense par exemple à la grande foire universelle d’Osaka et toutes ces références que l’on retrouve dans vos œuvres. On chemine avec vous dans l’histoire contemporaine du Japon au travers de vos récits grâce auxquels le profane peut également apprendre des choses sur ce pays. Comment est-ce que vous appréhendez cet aspect de votre œuvre, avez-vous une méthode ou un dessein particulier par rapport à ça, souhaitez-vous faire passer quelque chose à ce sujet ?
Je n’ai pas vraiment l’impression qu’il y a une critique de la société japonaise dans ce que je fais. Le fait d’être en retrait est plus une particularité du peuple japonais. Les Japonais même si on les voit un peu euphoriques, il y a toujours quelque chose au fond du cœur qui est un peu .. pas froid mais, très posé, très neutre et c’est peut être ça que je transpose. Dans la culture comique japonaise, il y a des histoires racontées par une personne jouant plusieurs personnages et c’est assez cynique comme manière d’aborder une histoire. En fait, chacun fait un peu ce qu’il veut et je pense que la manière dont sont déroulées mes histoires est très influencée par ce style là. Dans mon Ipod il y a toujours pleins de ces récits et quand je vais me coucher, je le mets en shuffle et je me dis « bon est ce que je vais tomber sur l’histoire que j’aime bien ? ».
Propos recueillis par Boris Bonnetin.
Compte rendu et arrangement par Boris Bonnetin.
Photographies par Boris Bonnetin.
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