Nous vous proposons une nouvelle interview du réalisateur Jean-Baptiste Andrea pour le film la Confrérie des Larmes (The Brotherhood of Tears). En effet la première interview de Jean-Baptiste Andrea s’était déroulée pendant le tournage du film. Donc après avoir vu son long métrage, nous n’avons pas pu résister à lui poser quelques questions supplémentaires.
Attention nous avons volontairement posé quelques questions qui dévoilent l’intrigue du film. Aussi nous les avons mis à la fin de l’interview et nous avons précisé SPOILER. Ne lisez surtout pas les questions SPOILER si vous n’avez pas encore vu la confrérie des larmes.
– Nous avons été très surpris par la performance excellente de Jérémie Rénier. Quelles étaient les contraintes de tourner avec lui ?
Jean-Baptiste Andrea : Aucune. Quand Jérémie s’engage dans un projet c’est à fond. Il était plutôt un soutien qu’une contrainte malgré les conditions de tournages assez intenses.
– A-t-il fixé des limites ? Sur les scènes, les cascades ? Sur son rôle ?
Jean-Baptiste Andrea : Au contraire. Nos seules limites étaient celles de la raison et du budget. Mais Jérémie et moi étions comme deux gamins, prêts aux trucs les plus barrés. Si je lui avais dit « ça ferait une bonne scène si tu sautais du troisième étage », il m’aurait répondu « Non je vais sauter du cinquième, ce sera mieux »!
C’est un acteur ultra-physique et c’est pour ça que je l’ai choisi, son travail corporel a été un des axes majeurs de la préparation du personnage. Après il s’agit d’un thriller à suspense, pas d’un James Bond, donc nous ne pouvions et ne voulions pas faire dans l’action à tout prix.
– As-tu calculé le nombre de kms que tu as fait courir à Jérémie Rénier 🙂 ?
Jean-Baptiste Andrea : Lol. C’est vrai qu’il a beaucoup couru, et c’était un des axes de la narration. Le film commence doucement, avec un personnage englué dans un quotidien morne, puis monte en puissance. A un moment, le héros se met à courir et ne s’arrête quasiment plus, comme s’il poursuivait toujours quelque chose ou qu’il avait quelqu’un à ses trousses.
Dans la deuxième partie du film il y a un plan-séquence où Jérémie court comme un fou vers l’immeuble de Claire, tout le monde pense qu’il est accéléré ou qu’il y a un effet dessus, ce n’est pas le cas. C’est Jérémie qui court comme si sa vie en dépendait, moi qui lui hurle de courir plus vite de l’autre côté et l’équipe qui s’efforce de suivre avec une Dolly. Jérémie était tellement engagé qu’à la dernière prise, il s’est foulé la cheville (sans gravité heureusement). L’équipe n’était pas dans un meilleur état…
– A un moment on voit Jérémie lire le livre Au nom de la Rose de Umberto Eco. Pourquoi ce livre ?
Jean-Baptiste Andrea : C’est l’un de mes livres fétiches et l’un des mes films fétiches, ainsi que de Gaël, mon co-scénariste! Un clin d’œil donc. Accessoirement dans le scénario on le voyait progresser dans la lecture du livre pour indiquer le temps qui passe, il nous fallait donc un livre épais. Au final on ne l’a pas monté comme ça.
– La jeune Mélusine Mayance est vraiment époustouflante dans son rôle. Comment s’est passée ta rencontre avec elle et comment cela s’est déroulé sur le plateau ?
Jean-Baptiste Andrea : Je ne connaissais pas son travail. J’ai reçu une trentaine de vidéos de casting et elle explosait littéralement par son naturel. Je l’ai rencontrée, on a fait encore un peu de casting qui a confirmé mon choix. Sur le plateau c’était une crème. Mélusine a 14 ans, ce n’est plus du tout une enfant, plutôt une jeune femme.
Elle n’a pas les tics des jeunes acteurs, son naturel est le produit d’une technique extrêmement solide, pas d’un simple enthousiasme (même s’il est bien là!). Elle joue mais continue ses études derrière. Bref, c’est quelqu’un de très équilibrée. Je suis devenu proche avec sa famille, ils ont tous un fort tempérament artistique mais la tête sur les épaules.
– Comment s’est déroulée ta collaboration avec Gaël Malry le co-scénariste ? L’écriture à deux n’était elle pas compliquée ?
Jean-Baptiste Andrea : Bien au contraire, j’ai toujours écrit à deux, pour moi c’est le meilleur format. Gaël et moi nous connaissons depuis très longtemps mais c’était la première fois que nous écrivions ensemble. C’est comme une partie de tennis, on envoie une idée, l’autre la renvoie, etc…
– La scène en Chine est visuellement splendide au niveau des différentes couleurs (Chinois tout de blanc vêtus, arbre en fleurs, …). Pourrais tu nous parler de cette scène et de tes choix visuels ?
Jean-Baptiste Andrea : J’ai toujours eu cette scène en tête telle qu’elle figure dans le film. C’est le moment où la vie de Gabriel bascule dans l’étrangeté la plus absolue. En sus d’un dépaysement physique, il y a un dépaysement culturel comme l’enterrement en blanc. Les pétales rouges et les paysans en rouge dans le champ, c’est un signe subliminal, c’est la couleur de la Confrérie.
Le rouge n’apparaît dans le film que dans ces moments précis qui signalent un danger: la première fois au Café de l’Opéra, quand le Gitan offre à Gabriel un nouveau travail, puis dans le terminal de l’aéroport avant qu’il n’embarque.
– Pourrais tu nous parler du tournage à l’aéroport et de cet avion noir ?
Jean-Baptiste Andrea : Tourner sur un aéroport est d’une complexité folle, pour des raisons de sécurité. On avait des consignes et un plan de travail presque militaires. Il y avait une ligne par terre sur le tarmac que personne ne pouvait franchir, des barrières qu’on enlevait pour faire une prise mais qu’on devait remettre après.
Quand on a tourné les scènes de nuit dans l’avion on a dû éteindre l’une de nos sources parce qu’elle éblouissait les pilotes en approche! Mais le personnel a été adorable et nous a vraiment aidé. L’avion, le Falcon Blackbird, c’était pour moi l’un des personnages du film.
Nous avions donc organisé le plan de travail entier sur le seul jour où il était disponible (il n’y en a que trois identiques dans le monde). Et ce jour-là, brouillard à couper au couteau, l’avion ne peut pas décoller et rejoindre le plateau! J’ai cru que j’allais pleurer. Abellag, la compagnie qui le gère, a réussi à le libérer pour le surlendemain, je ne les remercierai jamais assez. On a donc tourné à l’arrache ce même soir les scènes prévues pour le surlendemain (dont la fameuse scène où Jérémie court dans la rue) afin de libérer la journée pour le Blackbird.Qui a failli ne pas arriver de nouveau parce que la veille, il y avait encore du brouillard! Mais tout est rentré dans l’ordre et nous avons eu la chance de voir l’oiseau noir arriver, c’était magique.
– La musique de Laurent Perez Del Mar est magnifique et elle est en adéquation parfaite avec le film ! Comment l’as tu connu ?
Jean-Baptiste Andrea : Par un ami, Julien Gayot, qui était aussi notre régisseur et qui a fait des miracles sur ce film. J’ai écouté trois notes de musique et j’ai su que c’était le musicien que je cherchais depuis longtemps. Je pense qu’il va très vite exploser au niveau d’un Coulais par exemple. Coïncidence, on a grandi à 30 km l’un de l’autre.
– Et comment s’est déroulée votre collaboration ?
Jean-Baptiste Andrea : Laurent a très vite écrit un thème, me l’a fait écouter au piano, puis il est venu sur le plateau. Il a adoré ce projet un peu fou dès le début. C’est incroyable d’entendre ce que ce simple thème est devenu, la richesse de son univers musical. Je lui avais dit que je voulais travailler de façon classique, par leitmotivs, ce qui était également sa façon de faire.
Le film ne serait pas le même sans sa musique. Cela peut paraître évident mais c’est loin de l’être, beaucoup de films ont des musiques bien foutues mais génériques. Celle-ci marque les gens. Beaucoup en parlent en sortant.
– On peut voir pendant le film que tu laisses des indices … Penses tu que le spectateur peut s’en apercevoir ?
Jean-Baptiste Andrea : Bonne question! Certains m’ont dit qu’ils avaient deviné la fin au milieu, mais c’est rare (et ça leur a plu, d’ailleurs). Je pense que ces indices sont plus appréciés à la seconde vision.
– Je n’ai pas compris pourquoi il y a un tel déchaînement négatif sur ton film et surtout sans justification de la part de certains critiques … Sais tu ce qu’il s’est passé ?
Jean-Baptiste Andrea : Vu qu’énormément de gens m’ont posé la question, des inconnus, des amis, des gens en sortie de salle qui ne reconnaissaient pas du tout le film après avoir lu certaines critiques, je pense qu’en effet il faut aborder le sujet. Je pourrais dire « les critiques sont méchants et je suis gentil » mais ça me paraît un peu facile.
Le fait est que le film est très controversé à cause de sa fin. Son univers est complètement, mais alors complètement hermétique à certains spectateurs. Soit ils ne comprennent pas la fin parce qu’elle ne correspond pas à leur univers intérieur (un peu comme si je faisais écouter du black métal à un amateur de classique, il n’entendra que du bruit), soit ils la rejettent viscéralement parce que la puissance du sujet les effraie.
J’ai un exemple très concret d’une femme qui a dit « J’ai beaucoup aimé le film, mais j’ai détesté la fin parce qu’elle m’a fait voir différemment un acte très quotidien de ma vie ». C’est génial non? La fin a touché quelqu’un à ce point, ce qui est formidable, et pourtant elle ne l’a pas aimée. Pour moi le but est atteint quand même. En fait la majeure partie des gens aiment beaucoup et ça commence à se voir sur internet où le public se rebelle contre le traitement reçu par le film. Bien sûr on peut se demander pourquoi certains journalistes ont éprouvé le besoin de le détruire. Je sais qu’on a du mal à me faire rentrer dans une case parce que mes films sont un mélange d’univers français et anglo-saxon, parce que j’ai travaillé à l’étranger, etc…
Evidemment, je ne pense pas que ce soient des facteurs conscients, c’est juste qu’il y a des verrous sociaux-culturels dans tous les pays dont on ne soupçonne pas la force. Entre ça et la fin dérangeante, ça a suffi pour que quelques critiques déterminés génèrent un effet boule de neige. Je ne peux évidemment pas leur en vouloir de ne pas être rentré dans mon monde et d’avoir été déroutés. Après, la façon dont ils l’ont exprimé (souvent très contradictoire d’ailleurs: ne comprenant pas le film, ils ne savaient plus trop à quoi s’attaquer et frappaient au hasard, se contredisant les uns les autres) c’est leur problème, leur karma.
Nous sommes très fiers de ce film et le public commence à nous le rendre en s’exprimant dessus, c’est tout ce qui compte. Ma seule réponse à ces critiques serait peut-être de revoir La Confrérie des Larmes. Pour l’anecdote mes deux précédents films ont commencé comme ça par un barrage de critiques haineuses avant de devenir cultes. Tout le monde l’a oublié… Rappelons aussi que La Confrérie a reçu pas mal de bonnes critiques aussi, mais on a toujours tendance à tomber sur les plus virulentes!
Question SPOILER- NE PAS LIRE SI VOUS N AVEZ PAS VU LE FILM CAR DES INFORMATIONS SUR LA CONFRÉRIE DES LARMES SONT PRÉSENTES ET VOUS GÂCHERONT LE SUSPENSE
– D’où t es venu l’idée des horloges ?
Jean-Baptiste Andrea : De notre passion, à Gaël et à moi, pour tout ce qui relève du domaine du conte. C’est typiquement l’une des scènes les plus poétiques du film (ATTENTION SPOILER! ) parce qu’elle sert aux membres de la Confrérie à se communiquer un lieu de rendez-vous. Evidemment, il y aurait des moyens plus simples de le faire. Mais dans ma tête, la magie comptait plus à un moment donné du film, pour ce qu’elle apportait, qu’une réalisme basique.
Question SPOILER- NE PAS LIRE SI VOUS N AVEZ PAS VU LE FILM CAR DES INFORMATIONS SUR LA CONFRÉRIE DES LARMES SONT PRÉSENTES ET VOUS GÂCHERONT LE SUSPENSE
– Spoiler : Tuer un homme est un tabou absolu (dans certains pays, la peine de mort a été abolie même pour les criminels). Penses tu que des personnes, même richissimes, puissent vouloir la mort d’autrui pour le plaisir des sens ?
Jean-Baptiste Andrea : Il suffit de regarder les informations pour voir qu’un nombre incalculable de gens tuent pour le plaisir des sens. Un dictateur ou un serial killer obéissent au même genre de pulsion. Qu’ils soient richissimes ou non ne change rien, ils sont surtout fous. Les membres de la Confrérie ne sont pas nécessairement des gens raffinés, ce sont juste des gens qui n’ont pas le courage de passer à l’acte mais sont animés des mêmes pulsions étranges que le dictateur ou le serial killer déjà mentionnés. Ce sont des tueurs par procuration.
Question SPOILER- NE PAS LIRE SI VOUS N AVEZ PAS VU LE FILM CAR DES INFORMATIONS SUR LA CONFRÉRIE DES LARMES SONT PRÉSENTES ET VOUS GÂCHERONT LE SUSPENSE
– Spoiler : Est ce un peu le mythe du vampirisme que tu as remis au goût du jour d’une certaine manière ?
Jean-Baptiste Andrea : Bien sûr. C’est l’une des pistes possibles de la fin et l’une de nos interprétations personnelles. Il y a avait une ligne à l’origine où Gabriel qualifiait précisément les clients de « vampires » et où Bouli Lanners lui répondait « La seule différence entre les vampires et mes clients, c’est que les vampires n’existent pas ». La Confrérie est une modernisation de ce mythe, sans fantastique. Il y a bien sûr d’autres niveaux de lecture, religieux, ethnologique, etc… Nous ne voulions juste pas les énumérer.
Question SPOILER- NE PAS LIRE SI VOUS N AVEZ PAS VU LE FILM CAR DES INFORMATIONS SUR LA CONFRÉRIE DES LARMES SONT PRÉSENTES ET VOUS GÂCHERONT LE SUSPENSE
– Spoiler : T’es tu mis des limites visuelles sur la fin ?
Jean-Baptiste Andrea : Non j’ai juste eu des limites de décor et de temps de tournage. De plus, à l’étape du script, nous avions déjà des réactions viscérales du fait de la fin. Les gens nous renvoyaient le script comme s’il s’était soudain enflammé entre leurs mains. Donc j’ai voulu traiter le concept de fin de la manière la plus sobre possible, proche du monacal!
Nous remercions le réalisateur Jean-Baptiste Andrea pour le temps qu’il a passé à nous répondre.
Octobre 2013
Interview par Stéphane Humbert
Photos par Stéphane Humbert