Chine, 1936. Ip Man, maître légendaire de Wing Chun (un des divers styles de kung-fu) et futur mentor de Bruce Lee, mène une vie prospère à Foshan où il partage son temps entre sa famille et les arts-martiaux. C’est à ce moment que le Grand maître Baosen, à la tête de l’Ordre des Arts Martiaux Chinois, cherche son successeur. Pour sa cérémonie d’adieux, il se rend à Foshan, avec sa fille Gong Er, elle-même maître du style Ba Gua et la seule à connaître la figure mortelle des 64 mains. Lors de cette cérémonie, Ip Man affronte les grand maîtres du Sud et fait alors la connaissance de Gong Er en qui il trouve son égal. Très vite l’admiration laisse place au désir et dévoile une histoire d’amour impossible. Peu de temps après, le Grand maître Baosen est assassiné par l’un de ses disciples, puis, entre 1937 et 1945, l’occupation japonaise plonge le pays dans le chaos. Divisions et complots naissent alors au sein des différentes écoles d’arts martiaux, poussant Ip Man et Gong Er à prendre des décisions qui changeront leur vie à jamais…
L’avis de Manu Yvernault :
Wong Kar Wai s’est imposé au regard du cinéma international avec In the mood for love. Bien avant, on pouvait au détour de plusieurs autres films (Chunking Express, Nos années sauvages) déceler le talent du metteur en scène. Encore faut-il être à même d’apprécier un cinéma avant tout esthétique et qui prend son temps.
Après les déconvenues public et critique de 2046 et My blueberry Nights, la gestation de The Grandmaster a pris 10 ans. Dix années où le film a pris forme mais a aussi été fait et défait. Si Wong Kar Wai semble renouer avec le cinéma qui l’a consacré, nous sommes loin du chef d’œuvre espéré (jamais annoncé cependant).
On salivait à l’avance qu’un réalisateur à la mise en scène si précise prenne en main cette histoire (biopic revisité !?) de Ip Man, maître chinois de l’art martial, Wing Chun.
Tableau d’une époque où les valeurs et la transmission du savoir avaient plus de sens que les actes. On s’attendait à un film dantesque. Hélas, dans un léger déséquilibre, The Grandmaster souffre d’une esthétique trop poussée, d’un maniérisme extrême, léché, où rien n’est laissé au hasard. Ce surplus de propreté, s’il sert plus souvent le film qu’il ne lui nuit cependant, rend une copie presque trop propre pour en savourer l’aspect général.
Tout se reporte ainsi à la dramaturgie pure du film en laissant les scènes d’actions de côté. Non pas que l’effet soit déconvenue, mais à quoi bon filmer de manière si élégante des combats si ce n’est pour les inscrire uniquement de façon métronomique dans son film. C’est d’une virtuosité majestueuse et on a rarement vu des combats filmés de la sorte mais chaque nouvelle joute vient se poser entre deux séquences à l’intimité qui demandait presque à ne pas être brusquée.
C’est cette forme qui peut perturber le récit. Comme à son habitude, Wong Kar Wai laisse une place importante aux dialogues, fins et subtils dans l’ensemble, mais ne peut s’empêcher de filmer constamment chacun des comédiens en plans serrés. Jamais vraiment inscrits dans un espace définit, ils semblent ne jamais profiter des sublimes décors qu’on découvre lors des combats par exemple.
À trop vouloir être proche, Wong Kar Wai réussit à mettre en avant uniquement la mélancolie qu’il affecte tant mais créer également un sentiment étouffant. Totalement en opposition avec les scènes de combat, elles majestueuses donc, et filmées avec le respect que cet art demande. Graphique par sa photo sublime, élégant dans ses mouvements et ses cadres, on effleure le sublime dans ses instants d’opposition physique.
The Grandmaster est une œuvre peut-être trop composite et condensée (on se pose vraiment la question d’un director’s cut) pour séduire pleinement et mettre le film au plus haut des succès de 2013. Si l’aspect biographique et le discours sur la transmission de son art sont parfaitement réussis, les quelques écarts de mise en scène et une certaine confusion, dans ses raccourcis historiques notamment, ne font pas de The Grandmaster le chef d’œuvre escompté. Dommage, puisqu’il s’en approche dans une plastique irréprochable et par son lyrisme.