Dans un catalogue Ubisoft laissant finalement assez peu de place à la folie, la saga Far Cry fait réellement figure d’exception tant, depuis plus de quinze ans, chacun de ses opus semble calibré pour redéfinir la définition du chaos, du plaisir coupable et de la folie donc, cherchant à apporter son lot de nouveautés tout en restant dans le sillon initié par Far Cry 3. Et autant rassurer de suite les fans, Far Cry 6 ne compte pas changer la formule magique. Plus de détails dans la suite.
A bien des égards, la saga Far Cry pourrait largement être considéré comme une énigme dans le paysage vidéoludique. Initiée par Crytek avec un premier volet en forme de vitrine technique (un entrainement avant le mémorable Crysis) doublé déjà à l’époque d’un côté décomplexé aux faux airs de « Commando sur l’ile du Dr Moreau », la licence est rapidement récupérée par son éditeur d’alors, Ubisoft donc, qui adapte le premier volet sur consoles tout en entamant le développement en interne d’un second volet. A sa sortie, malgré ses qualités techniques, Far Cry 2 reçoit des critiques mitigées, mais reste commercialement un succès. Une réussite en demi-teinte qui, soyons réalistes, aurait condamné la licence aux limbes de l’oubli ou des suites indignes en d’autres mains. Fort heureusement, et comme conscient du potentiel qu’il tient entre les mains, Ubisoft tente le tout pour le tout avec un troisième volet reprenant les qualités du premier volet (environnement tropical, liberté totale, ambiance très Série B…) tout en y rehaussant le niveau de la narration et de la mise en scène, et en mettant les potards au maximum. Avec son intrigue simple, mais solide, ses scènes hallucinatoires, ses moments WTF (ah, la joie de tout cramer au son de Skrillex !) et surtout ses personnages complètement perchés, notamment le mythique bad-guy Vaas campé par Michael Mando (quasi-inconnu alors, depuis passé sur Better Call Saul et Spider-Man Homecoming), Far Cry 3 frappe un grand coup. La réussite critique et commerciale aidant, Far Cry vient de trouver sa formule avec notamment la mise en avant d’un méchant emblématique, qui sera désormais reprise quasiment à l’identique dans ses suites et ses spin-off, chacun des volets suivants en profitant pour apporter sa touche personnelle (la verticalité de l’Himalaya du 4, l’âge de pierre de Primal, la secte et le système de zones du 5, la post-apocalypse de New Dawn, sans oublier l’univers nanar-futuriste du magistral Blood Dragon) tout en confirmant la pérennité de ce succès. Mais après autant d’univers explorés, Far Cry peut-il encore renouveler son succès pour ce sixième volet ?
N’allons pas par quatre chemins : Far Cry 6 est dans la droite lignée de ses prédécesseurs. Se déroulant cette fois dans l’univers fictif de Yara largement inspiré de Cuba, l’intrigue de ce nouveau volet nous met dans la peau de Dani Rojas (héros ou héroïne, selon le choix du joueur au début du jeu) qui va se retrouver malgré lui à la tête de la rébellion contre Anton Castillo, dictateur qui contrôle avec ses lieutenants l’ensemble de l’ile de Yara tout en cherchant à pousser son fils à prendre sa succession. Un pitch somme toute classique pour un Far Cry (même si l’on appréciera le développement plus approfondi de la relation entre Anton et son fils), et qui s’agrémente à nouveau d’une galerie de personnages (humains ou animaliers) sévèrement azimutés et de moments de mise en scène faisant la part belle à la décomplexion et au fun. Combiné au retour à un univers tropical, c’est peu dire que l’ombre de Far Cry 3 plane énormément autour de cette suite, qui peut heureusement compter sur certains ajustements pour affirmer son identité.
En premier lieu, et c’est sûrement l’élément le plus marquant sur le plan narratif, le joueur ne parcourt désormais plus l’intégralité du jeu en vue à la première personne ! Oui les fans, vous avez bien lu, c’en est fini du Far Cry entièrement parcouru à travers les yeux de son personnage, on revient ici aux sources de Far Cry 1 avec des cinématiques plus classiques montrant le personnage à l’écran. Un choix affectant également certaines zones (où on passera automatiquement en vue à la 3e personne) qui pourra hérisser le poil des puristes tant les précédents Far Cry avaient su tirer profit de ce choix pour désarçonner volontairement le joueur dans les moments forts (remember le plongeon attaché par Vaas, la fin alternative du 3, l’intro du 4 ou de Blood Dragon…), Far Cry 6 perdant ici en efficacité ce qu’il gagne en présence de son héros. Car oui, il faut bien l’admettre, Dani Rojas est peut-être le premier héros depuis Jack Carver dont le joueur se souviendra autant que du méchant. Pas un mince exploit (sérieusement, qui se rappelle de Jason Brody, Ajay Ghale ou de l’anonyme du 5 ?), mais il est dommage que cela n’ait pas pu être réalisé sans casser la vue constante à la première personne. Un nouveau défi pour Far Cry 7 ?
En parlant de défi, impossible de ne pas citer immédiatement l’aspect technique. Chaque Far Cry depuis le 1 a toujours été une réussite visuelle, et ce sixième volet ne déroge pas à la règle. Le Dunia Engine a beau être un brin vieillissant et nous offrir son lot inévitable de petits bugs en tous genres, il fait encore une fois des merveilles et rend réellement palpable le moindre mètre carré de Yara. La prouesse vient non seulement de ce rendu visuel, mais aussi et surtout de l’optimisation impressionnante du moteur Dunia. Déjà par le passé, le moteur permettait de profiter de l’expérience dans les meilleures conditions, même sur des machines un peu datées. Far Cry 6 continue sur cette lancée, mais va encore plus loin en profitant de tout un panel de paramètres et réglages qui seront même susceptibles de permettre de jouer en High, voire Ultra sur des machines moyennes en rognant sur les points les plus gourmands sans nuire réellement au rendu final. Et on ne parle pas de la pelletée de réglages en termes d’accessibilité (mode daltonien, sous-titres malentendants, aide vocale…). Plus complet, tu meurs !
Et mourir, cela arrivera souvent dans Far Cry 6. Enfin, surtout vos adversaires puisque comme à l’habitude, le jeu vous gratifiera d’un arsenal impressionnant pour faire tomber la dictature d’Anton Castillo. Armes à feu, lance-flammes, molotov, explosifs, poison, sans oublier la possibilité de personnaliser presque chaque arme à la mode « yarienne » façon système D et surtout de les adapter à vos différentes cibles (en privilégiant par exemple les munitions perforantes pour les cibles blindées). Et si cela ne suffit pas, vous pourrez également compter sur vos véhicules, donc certains lourdement armés, ou encore sur la faune que vous pourrez diriger sur vos adversaires pour vous mâcher – littéralement – le travail durant vos pérégrinations sur Yara. L’IA des ennemis étant régulièrement aux fraises façon bête et méchante, on vous recommandera d’ailleurs vivement de faire le ménage furtivement (avec ou sans animaux sauvages) plutôt que lancer un assaut frontal face à toute une armée qui ne tardera pas à fondre sur vous comme un seul homme sitôt repéré. En outre, la map étant proprement immense, on appréciera le retour des vieux de la vieille côté déplacements (voitures, hélicos, avions, gyrocoptères…), même si on regrettera le risque de passer à côté de la légendaire wingsuit pendant une partie de l’aventure si l’on manque de curiosité (indice : ne négligez pas les améliorations de vos camps de base).
On saluera également le travail autour de l’aspect sonore. Outre le doublage de bonne facture (avec le retour de Thierry Desroses, VF régulière de Giancarlo Esposito), c’est surtout l’ambiance qui tire comme à l’accoutumée son épingle du jeu avec des bruitages soignés et surtout une ambiance musicale de haute volée qui, si elle cède à certaines facilités juste pour l’effet (coucou la Vida Loca), réussit haut-la-main à nous embarquer dans ce Cuba virtuel, seul ou à deux.
Car oui, avant de conclure, on précisera que l’aventure de Far Cry 6 peut être presque intégralement parcourue à deux joueurs (l’invité conservant ses statistiques, mais pas sa progression). Vu la richesse de la map à explorer, la pelletée d’adversaires à abattre, de bases à reconquérir et, fin du fin, la large partie des véhicules proposant deux places (dont des side-car !), inutile de dire que ce mode coopératif ne se contente pas d’offrir une dose supplémentaire de fun : il offre surtout une toute autre perspective à l’aventure Far Cry, et permettrait presque de compenser l’absence du génial éditeur de map (dont on espère le retour dans un futur patch) ! Les dernières rumeurs en date laissant supposer un futur mode multijoueurs plus poussé, voire un tout nouveau jeu dédié au multi, il semble clair que Far Cry ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, et c’est tant mieux.
Comme à l’accoutumée, résumer un Far Cry relève de la mission impossible. Aussi riche et barré que les précédents, tout en se permettant quelques expérimentations ici et là, notamment avec la mise en avant de son héros et plus seulement de son méchant, Far Cry 6 est à la fois le digne prolongement de la saga, tout en représentant par certains aspects un aboutissement et un renouveau. En de nombreux points, on sent la saga en train de se remettre en question, et si il semble clair que la suite sera riche en surprises, le plaisir de parcourir l’aventure aujourd’hui, seul ou à deux désormais, est toujours aussi intact après tant d’années de folie.