A l’occasion de la sortie de The social network retour sur le prédédent film de David Fincher, L’étrange histoire de Benjamin Button…
« Curieux destin que le mien… »
Ainsi commence l’étrange histoire de Benjamin Button, cet homme qui naquit à 80 ans et vécut sa vie à l’envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. Situé à La Nouvelle-Orléans et adapté d’une nouvelle de F. Scott Fitzgerald, le film suit ses tribulations de 1918 à nos jours. L’étrange histoire de Benjamin Button : l’histoire d’un homme hors du commun. Ses rencontres et ses découvertes, ses amours, ses joies et ses drames.
Et ce qui survivra toujours à l’emprise du temps…
L’avis (contrasté) d’Alex :
Hier a débarqué dans les salles obscures françaises l’un des films les plus attendus de ce début 2009 avec la sortie de la nouvelle réalisation de David Fincher.
Grand favori pour les Oscars à venir en mars, L’Etrange histoire de Benjamin Button a obtenu pas moins de 13 nominations dans les différentes catégories (dont les prestigieuses « Meilleur film », « Meilleur réalisateur » et « Meilleur acteur »… voir ici la news de Fabien)
Eh bien, après vision du film, je dois dire que mon avis est assez partagé…
Commençons donc par les qualités évidentes de Benjamin Button, et sans doute par ce qui reste justifie (presque) à eux tout seuls la vision du métrage : les maquillages…
Réellement impressionnants (en terme de « vieillissement » surtout), ils contribuent pleinement à la réussite du film au niveau de la « vraisemblance ». Ce qui n’est pas une mince gageure au vu d’un script pareil !
La performance des deux acteurs principaux, Brad Pitt et Cate Blanchett, semble alors incroyable, mais les « effets spéciaux » justement n’y sont-ils pas pour beaucoup ?
Je préférerai pour ma part m’attarder sur les comédiens de « second plan » : la « mère » de Benjamin (Taraji P. Henson, elle aussi nominée pour la statuette dorée), Jason Flemyng (James Bataille dans Atomic Circus), Elias Koteas, et surtout la trop rare Julia Ormond (que j’aurais carrément bien vue dans le rôle de « Daisy » attribuée à Cate Blanchett, « miss incontournable » du moment…)
On peut évidemment également rendre hommage aux décorateurs pour les reconstitutions soignées de la Nouvelle Orléans du début du XXème siècle et les séquences de batailles de la seconde guerre mondiale…
Seulement voilà, malgré tout ce soin apporté aux détails et une histoire pour le moins originale (mais ne s’agit-il pas plutôt d’un excellent bouquin à la base ?…), j’ai vraiment eu l’impression d’assister à une sorte de « fabrique des sentiments »…
Je m’explique : si l’histoire se veut bien sûr émouvante, je n’ai pour ma part (quasiment) jamais été « transporté » par le film et je peux compter sur les doigts d’une seule main les moments où l’émotion m’a vraiment submergé…
Certains vont à coup sûr me trouver dur, mais j’ai vraiment eu la désagréable impression (comme c’est le cas dans beaucoup de films hollywoodiens) qu’on me « pré-mâchait » les émotions du style : « bon ben là il faut rire, et là il faut pleurer… »
Je caricature volontairement mais il y a quand même de ça, et c’est d’autant plus surprenant de la part de David Fincher dont j’avais adoré (comme beaucoup !) les Seven, Fight Club, et autres Zodiac. L’ancien réalisateur de clips et de vidéos publicitaires avait par exemple su détourner de façon intelligente son style pour fustiger la société de consommation dans l’ultra-polémique Fight Club (adapté là encore d’un roman génial), puis se débarrasser de ses « tics » esthétisants dans le sobre et mâture Zodiac (adapté d’un… bah devinez !)
Si la réalisation de Benjamin Button est plus que correcte (faut pas exagérer non plus !), ce dernier m’a plus fait penser à un gros film de studio -et accessoirement une « bête à Oscars »- qu’à une œuvre au style véritablement personnel…
Le pire étant que Fincher « emprunte » même ici des idées de mise en scène à… Amélie Poulain ! (Flagrant lors d’une séquence « battement d’ailes du papillon » avec des « si… » à répétition dans le plus pur style Jeunet !!!)
Une autre référence tout aussi inattendue est le Forrest Gump de Robert Zemeckis !
Ça peut vous paraître complètement saugrenu mais ça m’a littéralement sauté à la figure : dans les 2 films, on suit un individu « différent » qui traverse quelques moments-clés de l’histoire du XXème siècle (la seconde guerre mondiale, le mouvement hippie).
Dans les 2 cas, une mère aimante leur prodigue un conseil curieusement similaire (« la vie, c’est comme une boîte de chocolat, on sait jamais sur quoi on va tomber » et « on ne sait jamais ce que la vie va nous réserver »…)
Dans les 2 cas, les personnages font le tour de la Terre mais conservent un « point d’ancrage » qui est la demeure familiale (l’Alabama pour Forrest, la Nouvelle Orléans pour Benjamin…)
Enfin dans les 2 cas, les héros font un passage en tant que matelot avec un personnage au caractère bien trempé (« Lieutenant Dan » et « Captain Mike » !)
Beaucoup de coïncidences tout ça, vous ne trouvez pas ?
Surtout quand on pense que le film avec Tom Hanks avait aussi été nommé 13 fois aux Oscars en 1995…..
Très loin d’être un mauvais film, Benjamin Button ne m’a tout simplement pas fait rêver et toute la publicité qu’on en a fait autour m’a un peu exaspéré…
(Merci encore à « la 1ère radio de France » de s’engager si courageusement pour la défense de ce « petit » film, comme elle l’a fait naguère pour Bienvenue chez les Ch’tis et Astérix aux Jeux Olympiques… Pendant ce temps, un bijou filmique comme Morse récolte 24 copies le même jour histoire de bien rester invisible !!!)
Souhaitons à David qu’il retrouve de son audace passée avant de se faire intégralement manger par le sacro-saint « Establishment » US…
Mais s’il ramasse lui aussi 6 statuettes, je deviens superstitieux pour de bon !
L’avis de Fabien
Le petit génie David Fincher revient, après l’excellent Zodiac, là où ne l’attendait pas forcément : avec cette adaptation du nouvelle de Fitzgerald il livre un grand film romanesque et tragique conforme à son souhait de réaliser une « romance hollywoodienne avec des stars ».
Dès les premières minutes du récit le talent de Fincher se déploie avec un double prologue : d’un côté une jeune femme découvre la vie de sa mère agonisante sur son lit d’hôpital via un journal, de l’autre un siècle auparavant en 1918 un artisan affecté par la mort de son fils à la guerre construit une horloge dont les anguilles vont à rebours. Ce dérèglement mécanique est la métaphore du cas Benjamin Button, un enfant né avec un corps de vieillard qui ne cessera de rajeunir jusqu’à sa mort.
Selon ce personnage à l’horloge interne déréglée le film fonctionne beaucoup sur l’idée du décalage, du contraste : un nouveau né avec un physique de vieillard, un blanc élevé par une noire, un enfant vivant avec des personnes âgées…
Par extension le film de Fincher constitue une éloge de la différence comme il est une célébration de la vie car « on ne s’est jamais ce que la vie nous réserve ».
En effet le film enregistre la fuite inexorable du temps, des souvenirs, des sentiments via l’étrange histoire de Benjamin Button qui voit ceux qu’il aime s’éteindre progressivement alors qu’il accomplit le chemin inverse pour terminer son existence à l’état de bébé, privé de mémoire et de souvenirs.
Cette histoire tragique a pour fil directeur une histoire d’amour impossible cernée par la mort, une romance déchirante de la force de celle de Titanic et Sur la route de Madison. Vers le milieu du récit Benjamin Button a rattrapé son amour de jeunesse interprétée avec beaucoup d’intensité par Cate Blanchett : ils ont le même âge, le même glamour et peuvent enfin donner libre cours à leur passion. Ces moments privilégiés volés à ce destin qui les éloignent inexorablement sont magnifiques et tragiques.
L’ordre inversé amplifie la dramaturgie : chaque occasion manquée ou instant de bonheur partagé est vécu avec une émotion amplifiée.
Justement l’émotion ou plutôt une infinie mélancolie (Fincher n’a jamais été un grand sentimental) naît par petites touches, sans effets appuyés.
Comme la formidable partition d’Alexandre Desplat, un de nos plus grands compositeurs actuels de musique de film, qui souligne en douceur les émotions, la mise en scène de Fincher exclut toute expression d’une sensiblerie mielleuse ou effet tire-larme. Ces plans sont très précis souvent superbes comme cette contemplation d’un coucher de soleil à l’article de la mort qu’on croirait sorti d’un tableau impressionniste.
En dosant idéalement les aller-retour entre passé et présent Fincher propose de feuilleter en 2h40 une partie de l’histoire de l’Amérique du 20ème siècle, de la grande guerre au cyclone Katrina. Une histoire que traverse les deux personnages principaux au gré de vignettes humoristiques avec de nombreux personnages secondaires extravagants (un vieillard qui raconte sans cesse comment il a été frappé par la foudre, un Pigmé en milieu urbain, une diva à la retraite), des situations cocasses liées au décalage entre l’apparence et l’âge de Benjamin Button (la découverte par un vieillard des choses de la vie) et au fil de passages mélancoliques (un abandon amoureux avec une femme énigmatique incarnée par l’excellente Tilda Switon) comme dramatiques (les nombreuses occasions manquées entre Button et son amour de jeunesse, leur inéluctable séparation après des retrouvailles inespérées).
Enfin on louera les effets de maquillage, absolument bluffants, qui permettent de vieillir et de rajeunir les comédiens comme Brad Pitt qui, à la fin du film, retrouve sa plastique de beau gosse découverte dans Thelma et Louise.
L’étrange histoire de Benjamin Button est une grande et inoubliable histoire d’amour funèbre, l’incroyable histoire d’un homme nait vieux dont le combat, contrarié par la fuite inexorable du temps et en l’occurrence d’une vie à rebours, pour garder l’objet de son affection a quelque chose finalement d’universel et de profondément touchant.