A l’occasion de la 20eme édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, nous nous sommes entretenu avec Martine Thérouanne, présidente du festival afin de connaitre son ressenti sur cet évènement unique en France. Nous étions accompagnés pour ce faire de l’équipe de nos confrères du site internet Eastasia.
On a l’impression d’une certaine constance dans le choix de la programmation, y a-t-il eu une évolution pour arriver à ce 20eme anniversaire ?
MT : Oui, bien sûr. Au premier festival, il n’y a eu que 12 films présentés qui étaient tous des films distribués. Avec le temps, on a commencé à passer des films non-distribués, à créer des sections compétitives, et à partager le festival en 6 ou 7 sections selon les années. Donc oui, une évolution certaine. Concernant le choix des films, cette année on s’est un petit peu plus ouvert, ce qui est peut-être dû au pays à l’honneur, les Philippines. Il y a beaucoup plus de comédies. Hier a été présenté Here comes the bride qui a provoqué l’hilarité de la salle. Il va aussi y avoir Sapi de Brillante Mendoza qui est une petite entrée dans le film de genre.
Comment as-tu perçu cette évolution au fil des 20 ans d’un point de vue plus personnel ?
MT : On nous a toujours dit au début qu’on n’y arriverait pas évidemment. Il y a 20 ans, dans une ville comme Vesoul, créer un festival du film asiatique, je peux vous dire qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui ont crus que ça allait perdurer ! Apres cela, on nous a dit « vous allez grandir et vous n’arriverez pas à gérer tout ça », puis « vous avez grandi, mais vous allez perdre votre âme ». He bien j’espère qu’aujourd’hui, on ne l’a pas perdue. On est de plus en plus exigeant au niveau de la qualité des projections. Le fait d’être venu en 2006 s’installer au cinéma Majestic qui est un cinéma tout à fait apte à nous recevoir de par la qualité des projections, et du confort des salles qui n’existe pas dans beaucoup de festival a permis cette évolution. Et depuis qu’on a une section compétitive, la règle incontournable est d’être en première française, voire même européenne quand l’occasion se présente.
Tu nous parlais d’âme, je pense que c’est un festival qui a une âme. En deux mots, comment définirais-tu cette identité ?
MT : Pour moi, je dis toujours qu’on a commencé avec des cinéphiles purs et durs, essentiellement éducation nationale et professions libérales, et aujourd’hui, ce qui me touche le plus, c’est de voir en salle des gens qui ne sont pas cinéphiles, qui, pour certains ne vont pas au cinéma dans l’année mis à part pour le festival. Les gens ne viennent pas forcement au festival pour voir des films, mais pour les voir ENSEMBLE. Pour en parler après, pour échanger, et dans des relations humaines tout simplement. Après, il y a toujours une barrière, je ne dis pas qu’ils le font spontanément. Quand on croise dans un couloir Brillante Mendoza, ce n’est pas forcement évident d’aller le voir en lui disant « tient, j’aimerais vous parler ». Mais pour nous, il n’y a absolument aucune barrière et tout le monde peut rencontrer tout le monde. C’est ce qui est important et ce qu’apprécient les réalisateurs ici. Voir le public qui voit leur film, car dans les festivals, Cannes en étant l’exemple le plus frappant puisqu’il n’y a que des professionnels. Les réalisateurs ne voient pas les films avec leur public. Ici, c’est cela qui est intéressant. Hier nous avions une productrice et une actrice philippines qui sont restées dans la salle car elles avaient besoin de ressentir la réaction de ce public face à leur film. Je tiens beaucoup à cet esprit de convivialité qui règne à Vesoul !
Au bout de 20 ans de festival, quel est le moment, le fait qui t’a le plus marqué ?
MT : Il y en a beaucoup, mais j’ai envie de dire la venue de Hou Hsiao Hsien. Ca a été vraiment un immense moment. Apres, il y en a eu d’autres car nous avons eu Jafar Panahi qui est venu et qui a énormément marqué ce festival. On était encore dans l’ancien cinéma et je me souviens lors de la cérémonie de clôture, il est monté sur scène pour interpeller les politiques pour leur dire « il faut aider le festival ». Et il a été entendu, on a eu des coups de pouce à partir de ce moment-là. Et c’est ce qui a permis aussi, à Jean-Marc et moi-même d’avoir été à ses cotés à notre façon tout au long des évènements qui ont marqués malheureusement son parcours professionnel et personnel. Je dis cela, mais je suis toujours aussi sensible quand n’importe quel réalisateur accepte de venir. Pour nous qui allons dans les festivals, on sait très bien le temps que cela représente pour un acteur, un réalisateur, un producteur de prendre huit jours pour venir dans un festival. Surtout la fatigue que cela représente, car il ne faut pas oublier qu’ils viennent d’Asie et qu’il y a déjà le décalage horaire qui est une chose pas du tout évidente à gérer. Le fait qu’ils acceptent est vraiment extraordinaire. Bien entendu, on les revoit par la suite. Nous avons revu HHH plusieurs fois dans d’autres festivals, tout comme Kore Eda qui était ici il y a deux ans… il faut voir la chaleur avec laquelle ils nous accueillent quand ils nous retrouvent .Comme je dis toujours, ce sont nos meilleurs ambassadeurs. Ce sont eux qui après parlent aux autres réalisateurs en leur disant « venez à Vesoul ». Je pense de ce fait que quand nous avons invité de très grands réalisateurs et qu’ils n’ont pu venir, c’est que réellement ils ne pouvaient pas. Et souvent, la réponse de base c’est qu’ils sont en train de tourner un film. Mais qu’est-ce qu’on peut souhaiter de mieux pour un réalisateur que d’avoir les moyens de tourner un nouveau film ?
La réputation de Vesoul n’est plus à faire comme on l’a vu hier dans Here comes the bride.
MT : Pour la petite histoire, nous étions dans la salle lors de la première projection de ce film et on ne le savait absolument pas. Ça a été une belle surprise pour nous. Un petit clin d’œil parce que le réalisateur avait été primé à Vesoul les années précédentes.
Et après 20 ans de festival, comment envisages-tu l’avenir ?
MT : Comme je dis, nous avons 3 fois 20 ans, mais je me sens toujours en forme avec l’envie de faire plein de choses, mais il nous faut préparer sereinement la suite et ne pas renoncer. Mais cela passera forcement par un besoin financier réellement accru. A Vesoul, on fait un festival avec 4 à 5 fois moins de moyens que d’autres festivals équivalents, en terme purement d’argent. Nous faisons ce festival depuis 20 ans sans être rémunérés, je ne pense pas que ceux qui nous succèderont pourront le faire et je le comprends tout à fait, ce n’est pas du tout une critique. Nous alertons donc les collectivités, le CNC en leur disant que oui, on aimerait bien commencer à se faire épauler et que petit à petit le passage se fasse mais ça ne pourra pas se faire sans argent.
Au niveau du financement, vous avez des aides de la région uniquement ?
MT : Sans rentrer dans le détail des chiffres, on a essentiellement la communauté de l’agglomération de Vesoul qui nous soutien, mais cette communauté d’environ 32.000 habitants n’a pas les moyens d’une telle que Montpellier ou Nantes. Financièrement, je trouve qu’ils font un gros effort. Apres, on a un soutien du Conseil Régional, de Franche Comté et le CNC. C’est très important car à un moment, le CNC a focalisé sur une vingtaine de festival dont nous faisons partie, ce qui représente pour nous un vrai soutien cinématographique. Nous avons aussi 10 annonceurs privés, dont certains nous suivent depuis la première édition. Ca ne représente peut être pas grand-chose, mais ça nous permet d’aller plus loin. Ce qu’il nous faudrait maintenant c’est un mécène. C’est réellement ce qui serait le plus fiable pour l’avenir du festival.